Une priorité noble pour l’économie congolaise: Gilbert Ondongo plaide en faveur d’une croissance inclusive
Entretien
14. 11. 2016 | Ministre
Les dernières évolutions de la conjoncture économique du Congo obligent le pays à réorienter ses efforts vers la mobilisation des recettes hors pétrole. Pays exportateur des matières premières dont les cours sont en chute aujourd’hui, le Congo affiche un taux de croissance de l’ordre 3%. Que faire pour sortir de la dépendance suicidaire au pétrole ? Le ministre en charge de l’économie, Gilbert Ondongo pense à un large éventail de solutions dont : l’amélioration du climat des affaires, le perfectionnement de la justice, l’industrialisation du pays par l’agriculture, la diversification profonde de l’économie… Pour ce faire, il entend donner au secteur privé toute la place qu’il mérite… Gilbert Ondongo soutient son argumentaire dans cette interview exclusive, au cours de laquelle il explore les pistes proposées par le Chef de l’Etat dans ses projets de société successifs. (9/11/2016)
Le Patriote: Monsieur le ministre d’Etat, après plus de trois mois déjà la tête du département ministériel dont vous avez la charge, si l’on vous demandait de faire un bilan à mi-parcours, que diriez-vous ?
Gilbert Ondongo: Merci de me donner la possibilité de m’exprimer sur le département dont j’ai la charge. Vous me parlez de bilan, cela me paraît un peu prématuré. Si, trois ou quatre mois veulent dire mi-parcours, ils ne permettent pas de faire un bilan qui puisse être pris au sérieux. Tout simplement parce que l’économie, l’industrie, tout comme la promotion du secteur privé, toutes ont besoin du temps pour donner les fruits escomptés. Elles ne se résument pas à une affaire d’un jour ou de quelques mois.
Cela dit, qu’est-ce que l’on a pu faire pendant ces premiers mois ? Nous avons travaillé à traduire sous forme de programme précis les grandes orientations du Président de la République contenues dans son projet de société ‘’La Marche vers le Développement’’. Nous en avons fait un programme détaillé au sein de notre ministère et depuis, nous sommes en train de le mettre en œuvre. Nous espérons que dans les mois à venir, les premiers résultats seront à la portée des populations.
L.P: Vous êtes ministre de l’économie, comment se porte l’économie congolaise face à la crise pétrolière qui sévit à ce jour ?
G.O : Le fait est que toutes les économies des pays exportateurs des matières premières sont dans une situation difficile. Pourquoi ? Parce qu’à partir du deuxième semestre de l’année 2014, les cours des matières premières ont drastiquement chuté. Et cette baisse que l’on croyait momentanée, s’est plutôt inscrite dans le temps. On a même eu le sentiment qu’avec le temps qui passait, la situation s’aggravait. Aujourd’hui, le niveau des cours de matières premières reste très bas. Nos économies qui reposent essentiellement sur l’exportation des matières premières souffrent beaucoup. Pour ce qui concerne l’économie congolaise, nous enregistrons, comparativement aux années passées, une croissance faible. Elle est autour de 3%. Je voudrais vous indiquer par exemple qu’en 2010, nous avions connu une croissance proche de 10%. Une faible croissance comme celle d’aujourd’hui, a forcément des conséquences négatives sur l’emploi et sur la marche des affaires en général. C’est un creux pour l’économie. Nous-nous attelons à remonter la pente.
L.P : Vous gérez le secteur privé, quelle est donc la place du secteur privé dans l’économie congolaise ?
G.O : L’économie congolaise réserve une grande place au secteur privé et, de mon point de vue, le secteur privé n’a pas encore occupé toute la place qui doit être la sienne. Ça peut se comprendre en explorant l’histoire de notre pays. Dans le passé, avec les options politiques qui étaient les nôtres, nous avions mis l’accent sur l’Etat comme principal acteur de l’économie. Vous avez bien réalisé que depuis longtemps nous avons changé d’option. Désormais, nous mettons en avant l’économie de marché avec au centre, le secteur privé. Lorsque l’on privilégie le secteur privé, ce n’est pas du jour au lendemain qu’il se structure et occupe la place qui lui est réservée. Le secteur privé est en train de s’imposer comme acteur central dansla production des biens et services, ainsi que dans la création de l’emploi.
Au ministère qui a la charge, entre autres, de la promotion du secteur privé, nous travaillons à ce que le secteur privé prenne réellement sa place au cœur de l’économie congolaise.
L.P : Et comment se porte le climat des affaires au Congo ? Est-ce que tout congolais peut facilement créer son entreprise ?
G.O : Je vais être honnête avec vous en vous indiquant que suivant le classement de la société financière internationale (composante de la Banque mondiale), le Congo est aujourd’hui mal classé en matière du climat des affaires. Le gouvernement déploie des efforts pour améliorer le classement du Congo. S’agissant de la création des entreprises, nous avons mis en place un guichet unique à cet effet. Il se trouve que dans les faits, l’administration n’applique pas toujours assez bien la règlementation qui est définie par le gouvernement. Nous veillerons à ce que notre administration applique comme il se doit la règlementation édictée par le gouvernement, de sorte qu’il soit facile de faire les affaires au Congo.
L.P : Pensez-vous que ça sera facile, surtout avec l’actuelle politique du chef de l’Etat basée sur la rupture ? Comment comptez-vous vous employer pour que cette rupture devienne une réalité dans votre département ministériel ?
G.O : Il ne faudrait surtout pas que la rupture soit un concept galvaudé, un slogan qui résonne dans le vide. Aujourd’hui, on note : qui veut faire quoi que ce soit, parle de rupture. On risque ainsi de banaliser une exigence qui a un sens. Le Président a appelé au changement de mentalités, c’est pour cela qu’il a parlé de rupture. Il a noté que les mentalités de certaines de nos compatriotes n’étaient pas favorables au développement. Qui dit développement, dit des mentalités préparées à cela c’est-à-dire, la rigueur au travail, la discipline, la probité, la volonté de réussir et que sais-je encore. Le président avait constaté qu’une bonne partie de nos compatriotes n’étaient pas dans ces dispositions d’esprit. Il a donc appelé à la rupture pour que l’on cesse avec les mauvaises habitudes ; que l’on cesse avec ce qu’il a qualifié d’antivaleurs, pour se mettre dans les dispositions de travailler sérieusement et efficacement, de réussir afin que le Congo aille de l’avant.
Au sein de notre ministère, les cadres doivent montrer l’exemple de sorte que tout le monde adhère au changement des mentalités et que ce dernier facilite le développement de notre pays.
L.P : Il faut se dire que dans la plupart des pays africains, les investisseurs sont généralement face à une situation où quand ils viennent pour investir, ils sont confrontés à de sérieux problèmes du genre pourcentage etc. et, dans ce sens comment allez rendre effectif ce concept de rupture ?
G.O : Dans un pays comme le nôtre où dans d’autres pays, que l’on trouve quelques fonctionnaires qui ne se comportent pas de façon exemplaire, c’est un fait. La responsabilité du gouvernement est d’agir, afin que les fonctionnaires qui ne se comportent pas de façon exemplaire soient punis et que ceux qui se comportent de façon exemplaire, soient encouragés. Aujourd’hui, certains investisseurs rencontrent des comportements qui ne sont pas les mieux adaptés à la bonne pratique des affaires. Il incombe au gouvernement de faire tout pour que ces mauvais comportements soient à jamais bannis dans notre pays. Est-ce qu’on y arrivera au bout d’un jour ? Non! Comme je vous ai parlé de l’économie qui a besoin du temps, de l’industrie qui a besoin du temps… On a sans doute besoin d’un peu de temps pour éradiquer le mal et partager avec tous les agents de l’Etat des comportements plutôt favorables au développement.
L.P : Dans votre discours prononcé à l’occasion du forum de l’entreprenariat à Pointe-Noire, vous avez parlé des Etats-Unis où, il y a des millions d’entreprises privés, ce qui justifie d’ailleurs qu’ils soient la plus grande puissance économique mondiale, et les congolais peuvent avoir aussi cette volonté de créer des entreprises, c’est vrai vous avez mis en place un guichet unique pour la création d’entreprises. Cependant ils sont confrontés à la difficulté de bénéficier des crédits auprès des banques. Comment comptez-vous vous employer pour faciliter cet état de chose ?
G.O : Certes, le crédit est nécessaire à la vie d’une entreprise, mais ce n’est pas la seule chose indispensable. Nous préférons parler d’améliorer le climat des affaires ; il faut améliorer l’environnement des affaires en général. On doit veiller à la fois à faciliter l’accès au crédit, à modérer la pression fiscale, à perfectionner la justice et à mieux accompagner les entreprises. Il y a tout un environnement qui est nécessaire à l’épanouissement des entreprises. Il faut l’améliorer sans cesse.
L.P : Parlant de l’industrialisation du Congo, monsieur le ministre d’Etat, à quand la politique industrielle du Congo ?
G.O : Elle existe déjà. L’un de mes prédécesseurs avait préparé et le Chef de l’Etat avait validé la politique d’industrialisation du Congo pour la période 2012-2016. Aujourd’hui, nous devons actualiser cette politique et mettre en place des actions adaptées aux réalités des temps présents. Pour ne pas en rester aux considérations générales, la politique elle-même pour l’essentiel a été définie dans le précédent projet de société du Président de la République « Le Chemin d’Avenir ». Dans cette vision, il est question d’industrialiser le pays par l’agriculture c’est-à-dire, à partir de la transformation de la production agricole. Il est aussi question d’industrialiser le pays en s’appuyant sur les ressources naturelles à valoriser ou encore en partant de la demande des biens de consommation courante pour créer des industries qui apportent satisfaction à cette demande. Bref, on peut relire utilement « Le Chemin d’Avenir », afin d’être édifié sur les orientations stratégiques d’industrialisation du Congo. Le Chef de l’Etat avait comme ça ouvert une série de pistes, au nombre desquelles il y a lacréation des Zones Economiques Spéciales(ZES), un ensemble de pôles de croissance, autours desquels se développeraient des industries structurantes. Les grandes lignes de la stratégie d’industrialisation du Congo étant ainsi clairement définies et, c’est à nous de la mettre en œuvre en tenant compte des réalités des temps présents, y compris les contraintes financières qui sont les nôtres aujourd’hui.
L.P : s’agissant justement des contraintes financières du pays aujourd’hui, pensez-vous que le Congo sera émergent d’ici à 2030 ?
G.O : On va laisser la possibilité aux experts d’arrêter les dates. Nous ne sommes pas des commentateurs, nous sommes des acteurs, à nous de faire et à vous de commenter. Nous travaillons à ce que le Congo soit émergent. Qu’il soit émergent en 2025, en 2030 ou en 2035, nous mettons du nôtre, nous donnons le meilleur de nous-mêmes pour que le plus vite possible le Congo accède à l’émergence et au développement.
L.P : Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie, du Développement Industriel et de la Promotion du Secteur Privé, quels sont vos priorités ?
G.O : L’intitulé du ministère constitue en soi un ensemble de priorités. En d’autres termes, il nous faut organiser l’économie en nous appuyant entre autres, sur son industrialisation et sur la promotion du secteur privé. L’idéal pour un pays comme le nôtre c’est d’arriver à un taux de croissance économique égal ou supérieur à 7%. Parce que les experts à travers le monde ont estimé que pour lutter efficacement contre la pauvreté, un pays doit régulièrement, année après année, réaliser un taux de croissance au moins de 7%. Qu’à cela ne tienne. Je ne dirai pas que les chiffres ne veulent rien dire. Je pense qu’il y a les chiffres d’un côté, et de l’autre, il y a la réalité. Le plus important pour nous ce n’est pas tant avoir une croissance à deux chiffres, mais surtout d’organiser une croissance inclusive c’est-à-dire une croissance qui profite à l’ensemble des congolais. Une croissance qui donne, par exemple à l’économie la possibilité de créer des emplois. Une croissance qui permet à l’Etat d’organiser une sécurité sociale qui profite à l’ensemble des congolais, quelle que soit l’activité exercée ou la catégorie au sein de laquelle on évolue. Une croissance qui permet l’amélioration des conditions de vie des populations. Quelle noble priorité !
L.P : Sur quoi comptez-vous baser votre politique pour que cela soit une réalité ?
G.O : On ne répétera jamais assez que notre économie a besoin d’une profonde diversification pour prospérer. Les activités qui concourent à la diversification d’une économie sont connues. Il nous reste à les promouvoir, à encourager les entreprises privées à y investir. L’Etat continuera d’investir dans les infrastructures de base, dans l’éducation, dans la santé, pour le maintien de la paix. L’Etat veillera à la stabilité macroéconomique. Si besoin est, il impulsera les activités de production nécessaires à la diversification de l'économie.
L.P : Peut-on donc dire que l’entrepreneuriat fait partie de vos priorités ?
G.O : Je vous ai dit que si l’on a choisi l’économie de marché, on doit mettre le secteur privé au cœur de l’économie. L’entrepreneuriat c’est le secteur privé. Mettre le secteur privé au cœur de l’économie, c’est naturellement notre priorité.
L.P : Monsieur le Ministre d’Etat, pour vous résumer, qu’est-ce que les congolais peuvent retenir de votre passage à la tête de ce grand ministère?
G.O : Je pense que vous voulez dire qu’est-ce qu’ils peuvent espérer de ma présence au sein du ministère et non pas de mon passage, j’y suis encore. Ils doivent retenir que le Président de la République, Chef de l’Etat, nous a confié une mission lourde, nous avons à l’assumer au mieux. Nous avons à travailler de sorte que l’économie prospère ; nous avons à travailler à ce que l’industrie prenne pied dans ce pays ; nous avons à travailler à ce que le secteur privé trouve réellement sa place dans ce pays et que le secteur privé, en accord avec nous, travaille pour le développement de ce pays. Nous devons travailler à ce que l’économie soit bien structurée et viable ; nous devons travailler à ce que l’industrie se développe dans ce pays. Lorsque l’on a fait tout ça, c’est sûr, on est en marche vers le développement.
(Propos recueillis par Jules Débel)